Pharaons !

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mardi 6 décembre 2011

La pensée atonienne

Infinie, la littérature actuelle sur Akhénaton compte plus de deux mille titres. Rien d'étonnant, par conséquent, à ce que les avis divergent.

On lira ainsi qu'Akhénaton fut un génie, un mystique, un fou, un fanatique religieux ; ou bien que sa réforme religieuse fut une hérésie, une révolution monothéiste, un rêve insensé de mégalomane ou une merveilleuse tentative d'un idéaliste au coeur pur ; qu'il fut un grand innovateur ou qu'il n'inventa absolument rien. Pour se retrouver dans cet univers chaotique, il conviendra donc de s'en tenir au caractère concret des preuves archéologiques, en limitant les interprétations et en suivant toujours une règle d'or : chaque donnée doit être analysée, observée, «envisagée» du point de vue de la culture égyptienne, et non pas de celle d'aujourd'hui. Quel que soit le jugement que l'on porte sur ses choix, Akhénaton n'en fut pas moins un génie. On dispose à ce propos de preuves archéologiques évidentes : temples aux schémas foncièrement nouveaux ; invention des talatates, qui permirent d'accélérer la vitesse de construction ; création du relief dans le creux, conçu pour être mis en valeur par la lumière du soleil ; nouveaux critères artistiques, qui révolutionnèrent l'iconographie. Toutes ces innovations sont réellement issues de l'esprit du roi.

AtonS'agissant de sa pensée religieuse, Akhénaton n'a jamais déclaré être le fondateur d'une nouvelle religion : né bien avant lui, le culte d'Aton était parfaitement intégré dans la culture égyptienne. Le pharaon en fit le pivot de son oeuvre et élabora la théologie correspondante. II transforma Aton en un dieu unique qui se distinguait des anciennes divinités : l'Aton était le disque solaire, manifestation visible et concrète de ce que l'on peut appeler l'«Énergie universelle» - qu'il ne nomme jamais -, une énergie mystérieuse et inaccessible pour l'esprit humain. À la différence des souverains du passé, il n'est donc plus roi-dieu, mais fils et prêtre (hem-néter, «serviteur divin») d'Aton, même si une osmose entre les deux figures s'opérera au fil du temps. Les pensées théologiques, que l'on se contentera d'esquisser ici, demeuraient cependant étrangères au peuple : la théologie d'Akhénaton s'adressait à lui-même, libre penseur guidé par ses idées et par son rêve ; et avec lui, les membres de sa famille et la cour, inclus dans ce bienfaisant monde d'amour si parfaitement décrit par l'Hymne à Aton (qui reprend toutefois des éléments du passé).

La suppression du nom d'Amon et la fermeture des temples ne résultèrent pas du fanatisme religieux du pharaon ou de sa volonté d'imposer la foi atonienne, mais constituèrent la conséquence logique de sa pensée philosophique : Aton incarnant l'unique force créatrice et motrice, les autres temples divins s'avéraient dès lors inutiles. À cela viennent s'ajouter des raisons pratiques et politiques. Dans le concept entièrement solaire de la philosophie atonienne, où il n'y avait de place ni pour la mort, ni pour l'obscurité, tout était vie concrète et réalité. Ce mode de pensée se manifeste par l'art amarnien et par l'emploi, dans les textes, de la langue parlée au lieu de la langue littéraire. Un autre principe domina la pensée d'Akhénaton : Maât, la Vérité-Justice, l'ordre cosmique, une notion déjà présente auparavant, mais développée alors à l'extrême en tant que fruit de l'essence d'Aton.

Après la mort du pharaon, et encore plus au cours de la dynastie suivante, on voulut effacer la moindre trace de celui qui avait abandonné les canons sacrés et les dieux du passé. Mais la très grande liberté dont jouirent les artistes, les scribes et les architectes a permis à la Période Amarnienne de survivre.

L'héritage religieux de l'Egypte ancienne

Bien que l'Égypte ancienne ait exercé une certaine influence culturelle au-delà de ses frontières, il n'y eut parmi les nations du monde aucune communauté pour prendre sa succession lorsqu'à la fin de l'Antiquité le pays opéra la transformation qui en fit l'Égypte copte. Certains aspects de la religion égyptienne ont néanmoins laissé un héritage important, et le reconnaître apporte une nouvelle dimension à la compréhension de la culture judéo-chrétienne en Europe.

Le culte d'Isis et d'Osiris, qui promettait le salut personnel de l'âme, connut une large diffusion dans l'Empire romain. Les grands thèmes de cette religion à mystères se sont exprimés sous des formes qui ont influencé par la suite la littérature et l'iconographie chrétiennes : la Vierge à l'Enfant, le jugement de l'âme après la mort, la Cité céleste pour les justes et l'enfer avec ses tourments pour les damnés.

De surcroît, la « sagesse de l'Égypte » a représenté une référence (mal interprétée) pour les textes hellénistiques, égyptiens mais rédigés en grec, du Corpus hermeticus, ainsi que pour le néoplatonisme de Plotin (IIIe s. apr. J.-C.). Ces doctrines (et d'autres, tel le gnosticisme), fondées sur un enseignement ésotérique et sur la méditation, conditions nécessaires au salut de l'âme, se revendiquaient d'inscriptions hiéroglyphiques (qu'aucun Grec ni Romain ne savait lire) soi-disant dépositaires de toute sagesse.